manifestations pour la lutte contre l’antisémitisme

 

Manifestation à Mende sur la place Urbain V vers midi

Ci après la lettre quotidienne de Laurent Joffrin de Libération….

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La lettre politique
de Laurent Joffrin

Les racines de la haine

Pourquoi l’antisémitisme? On en connaît les causes immédiates: la persistance, ou la résurgence, du vieux préjugé d’origine chrétienne (même s’il est combattu avec énergie par les Eglises, en, tout cas depuis 1945), récupéré par une partie du nationalisme français au moment de l’affaire Dreyfus et de la France juive de Drumont et qu’on retrouve aujourd’hui à l’extrême droite (voir Soral, Rivarol, les «identitaires» et quelques autres groupes); la montée en puissance d’un islamisme de combat qui s’appuie sur d’autres préjugés antijuifs, nés de l’ancienne rivalité entre islam et judaïsme, même s’ils sont souvent condamnés par les autorités musulmanes.

On cite ensuite des causes plus générales, moins directes: l’enlisement dans la crise économique et sociale, la renaissance de la violence, verbale ou physique dans les rapports sociaux, la virulence des partis extrêmes qui crée un climat d’hostilité dans la vie politique, la «libération de la parole» provoquée par la montée en puissance des «réseaux sociaux», où les barrières habituelles du respect sont faibles ou inexistantes.

Au risque d’être désagréable, on en ajoutera une autre, également indirecte et générale, mais dont on peut penser qu’elle joue un rôle croissant: elle tient dans ce qu’on appelle la «politique de l’identité». On entend par là cette manie contemporaine de placer au centre d’une conception politique, ou d’une action militante, l’appartenance ethnique, religieuse ou culturelle des individus, c’est-à-dire de considérer les hommes et les femmes non pour ce qu’ils font ou ce qu’ils disent, mais pour ce qu’ils sont. Cet «essentialisme», qui est la négation de la responsabilité individuelle et la porte ouverte à toutes les classifications sommaires, est malheureusement l’apanage commun de l’extrême droite et d’une certaine extrême gauche. D’un côté on exalte l’appartenance nationale, chrétienne, occidentale, soi-disant menacée par des forces hostiles et qui devient la boussole de tout jugement politique. De l’autre, on défend les minorités en enfermant leurs membres, au nom de la lutte contre la «domination», dans leur appartenance ethnique ou religieuse, au lieu d’exiger pour chaque individu les droits du citoyen et l’application concrète des principes universels. Ce double communautarisme est délétère. Les uns prétendent parler au nom des majoritaires qui ont peur de ne plus l’être, les autres pour les minoritaires qui exigent une reconnaissance collective. Tout cela crée un paysage morcelé et agressif, au sein d’une République en principe unitaire, qui considère chacun à égalité de droits, quelle que soit son origine, mais qui se retrouve sur la défensive devant la montée des particularismes ethniques ou religieux.

L’histoire montre que c’est au sein de telles configurations sociales et politiques, où la question de l’identité devient obsessionnelle, que l’antisémitisme, la version la plus exacerbée et la plus dangereuse de l’essentialisme (on attaque les Juifs parce qu’ils sont Juifs, sans chercher plus loin) se développe le plus facilement. La manifestation de ce mardi, dont les effets réels seront sans doute limités, a au moins cette vertu: rappeler que beaucoup de citoyens ne souscrivent pas à la «politique de l’identité» et voient en chacun un citoyen ou une citoyenne qui a droit à l’égal respect, et se réfèrent toujours aux valeurs universelles qui fondent les démocraties.

LAURENT JOFFRIN
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